Le débat, projection du 11 avril 2015 dans le cadre du Panorama Charles Belmont, L’Éclaireur, au cinéma La Clef à Paris.
Débat animé par Nicolas Tarchiani du cinéma La Clef, avec Annie Buron (rôle de Chloé), Alexandra Stewart (rôle d’Isis), André Michelin (producteur), Christelle Gonzalo et François Roulmann (responsables de l’édition critique de l’œuvre littéraire de Boris Vian en Pléiade), Monique Armelle Renault (réalisatrice du générique) Marielle Issartel (compagne de Charles Belmont, assistante au montage de L’Écume des Jours).
André MICHELIN – À l’époque, personne n’avait envie de produire ce film. En plus, je l’ai produit avec un metteur en scène qui n’avait jamais fait de long métrage, et qui n’avait fait qu’un court métrage, Un Fratricide , que j’avais déjà produit.
L’aventure avec Charles, c’était ou tout, ou rien. Je l’ai rencontré sur un tournage, un film que j’ai produit également, d’Henri Decoin, avec Eddie Constantine, qui était tout à fait autre chose. J’ai compris que c’était un type tout à fait absolu, passionné, et nous avons eu des relations assez exceptionnelles, entre producteur et metteur en scène.
Nous avons sorti le film en mars 1968 à Paris, au Marbeuf et dans cinq ou six salles. On avait remonté le pianocktail dans le cinéma. C’est une Première qui a fait beaucoup de papiers. Le problème c’est que quelques semaines après, des gens se sont mis à manifester à Paris, pour les événements de Mai, auxquels nous avons participé aussi. Pendant un moment, toutes les salles de cinéma ont fermé.
Alexandra STEWART – Dans le premier film auquel j’ai participé en 1958-59, Le Bel Age de Pierre Kast, mon partenaire c’était Boris Vian. J’avais donc lu L’Écume des jours avant. J’ai été absolument enchantée de virevolter dans le rôle d’Isis. Je ne voyais pas trop comment on pouvait mettre ça en scène… et Charles est arrivé. Je le trouvais très touchant comme personne. Il ressemblait à Jacques Perrin, à Jean-Sol Partre, à Bernard Fresson, il avait quelque chose… il aurait pu être un des amis de cette histoire. Je crois moi-même que je sens le nénuphar qui pousse dans le poumon ! Je ne boirai plus d’eau.
Annie BURON – J’étais mannequin et j’ai été présentée à André et à Charles par Hélène Lazareff qui était la grande patronne du magazine Elle. Il y avait un casting, je n’avais pas tellement envie d’y aller parce que j’avais très peur. Finalement j’y suis allée, beaucoup de filles attendaient de passer, et André est venu vers moi et m’a dit : « On commence par vous ». Quarante-huit heures après, il m’a appelée en me disant « Vous avez été choisie ». C’est donc arrivé très vite. Ça s’est très bien passé, j’en garde un excellent souvenir.
Marielle ISSARTEL – J’ai rencontré Charles dans l’équipe de montage. J’aurais envie de demander, en commençant par le début du film, quelques mots à Monique Armelle Renault, dont le générique nous avait enchantés à l’époque (et toujours).
Monique Armelle RENAULT – Ce que je peux dire à propos du générique, c’est que j’étais très jeune, je rentrais de Prague où j’avais eu une bourse d’études d’un an, on était en 1967-68, et j’ai eu cette commande qui m’est tombée du ciel, c’était extraordinaire : un générique en cinémascope avec une liberté totale ! Je ne connaissais personne. Mon amoureux de l’époque était un copain de Pace1. Je crois que je n’ai même pas fait de storyboard, ça a été accepté sans qu’ils sachent ce que j’allais faire. Ce dont je me souviens particulièrement, c’est le montage qu’on avait fait chez Agnès Varda, rue Daguerre ; le musicien était André Hodeir. Les contacts étaient tout à fait chaleureux et sympathiques, je n’ai que de bons souvenirs. C’était une époque inouïe, j’ai eu beaucoup de chance. Après, j’ai voulu continuer au Service de la Recherche mais je me suis fait foutre dehors, alors j’ai continué toute seule dans mon coin à faire mes films, et puis le succès est arrivé quand-même.
André MICHELIN – Je dois dire qu’il y eut sur le tournage une atmosphère extraordinaire. Sami Frey s’est bien entendu avec Charles. Les gens se faisaient confiance, le budget était assez serré mais je pense qu’on s’en est assez bien sorti !
Marielle ISSARTEL – C’était une véritable aventure car c’était le premier film de Charles, Pace était encore aux Beaux-Arts, il s’est retrouvé à la tête de ces décors… Tous les acteurs étaient très jeunes. Il faut que ce film ressorte en salles, mais il n’y a plus de copies, elles sont toutes virées magenta. J’ai obtenu de Studio Canal ce fichier informatique que vous avez vu, mais pour faire une ressortie en salles, c’est une autre affaire. En tout cas, nous avons fondé l’association Les Amis des Charles Belmont qui se donne pour but de faire vivre l’œuvre, c’est ainsi que l’on a pu monter cette rétrospective. Il y a d’autres projets, dont des restaurations de copies. L’Écume des Jours n’est pas le seul film de Charles qui n’ait pas de copie de qualité pour une projection argentique ou numérique.
Pour ce qui est de la ressemblance avec les films de Jacques Demy qui vient d’être évoquée : Avec le premier monteur que Charles avait choisi parce qu’il venait de monter La Jetée de Chris Marker, ça s’est très mal passé. André Hodeir écrit une musique extrêmement précise, au point d’insérer les dialogues dans la musique pour qu’on n’ait jamais à la baisser au mixage ; la musique est structurée de façon très rigoureuse, or le monteur en question coupait dedans, à l’intérieur des mesures ! Je l’ai vu faire, j’étais en salle de montage, un peu terrifiée. Ils se sont séparés. Je me rappelle le monteur qui disait : « Charles, ou bien je suis un vieux con ou bien… », il laissait les points de suspension. Charles disait : « Je ne dirais pas cela, Jean… je ne dirais pas cela… » points de suspension également. Finalement, ils se sont séparés, Charles a choisi le monteur de Demy sur Les Demoiselles de Rochefort, Jean Hamon, nous avons remis les rushes en état, et ça s’est passé parfaitement.
UNE SPECTATRICE – J’ai trouvé les décors merveilleux : le pianocktail, la rôtissoire sont extraordinaires. Mais je voulais savoir : Est-ce que Jean-Sol Partre a vu le film ?
André MICHELIN – Non, par contre Jacques Prévert a vu le film, et nous avons enregistré quelques paroles sur disque, où il dit à sa manière ce qu’il pense du film, qu’il aimait beaucoup. Il disait surtout que ce n’était pas absolument le livre, mais qu’il pensait que Boris aurait beaucoup aimé ce film, ce qui ne pouvait pas nous faire plus plaisir !
François ROULMANN2 (il brandit la pochette) – Oui, ils ont fait un petit 45 tours à l’époque, souple, avec les témoignages de Prévert, d’Henri Chapier… « qui vous parlent de L’Écume des jours, un film de Charles Belmont… »
André MICHELIN – Je pense que nous étions les premiers à faire ça.
François ROULMANN – Vous aviez aussi la Bande Originale, un 45 tours avec l’affiche du film en couverture.
Quand Boris Vian publie L’Écume des jours, le 20 mars 1947, il a 27 ans, ce qui est à peu près l’âge de Jacques Perrin dans le film. Évidemment, Colin et Vian, on peut faire un rapprochement. Pour ceux qui connaissent le livre, vous aurez remarqué qu’il y a de nombreux éléments qui ne s’y retrouvent pas. Je dirais qu’il y a un 50/50 entre Charles Belmont et Boris Vian, au sens du scénario, de l’histoire pure du livre. Évidemment, la partie de tennis à la grenade du film n’existe pas dans L’Écume des jours le livre, mais on y trouve l’épisode de la patinoire, ça fait une très bonne osmose littéraire vers le cinéma. Il y a nombre d’autres choses comme ça, je ne vais pas vous les énumérer toutes, mais ce qui est important : Charles Belmont a lu Vian ! Et il n’a pas lu que L’Écume des jours. C’est ce que je ressens en tout cas. Il a lu Vercoquin et le plancton, qui est le premier roman de Vian, publié avant L’Écume des jours ; il a lu L’Automne à Pékin, qui est une sorte de suite de L’Écume des jours, le roman de l’usure, des femmes usées (ce que l’on ressent très fort à la fin du film de Belmont) ; il a lu le Gouffé, le livre de recettes qu’on voit dans le film. Il y a quelque chose d’extraordinaire que je n’avais pas vu jusqu’à maintenant : il se trouve que j’ai un Gouffé, et si vous vous souvenez de la première scène dans la cuisine, on y voit un plat avec des écrevisses et un poisson. Et bien c’est exactement la gravure qui est dans l’édition de 1877 du Gouffé, que Belmont a donc recréée dans le film ! Je pourrais vous trouver d’autres exemples comme celui-ci, mais ce qui me plait c’est la poésie de Vian qu’il a entièrement comprise, qu’il n’a pas dépassée mais rendue autrement, ce qui permet d’avoir en fin de compte deux Écume des jours ou une Écume de plusieurs jours… un livre-film ou un film-livre… impression que je n’ai pas eue du tout avec le film de Gondry.
Christelle GONZALO – C’est très agréable de voir enfin ce film sur un grand écran, et on y voit mieux nombre de petits détails. Le roman regorgeait de jeux de mots qu’on peut laisser de côté sans que cela change le sens du livre. De même dans le film : les panneaux de signalisation comportent des blagues très drôles, que je n’avais jamais vues ! Il y a Ursula Kubler, la femme de Vian, également dans le film, qui joue la religieuse. Elle a d’ailleurs beaucoup soutenu le film au moment de sa sortie.
François ROULMANN – Quand Colin/Perrin est désespéré et joue du cor à gidouille, une espèce de trompette enroulée, à côté du pianocktail, eh bien c’est le cor à gidouille qui avait appartenu à Boris Vian. On pourrait dire que Vian est physiquement présent dans le film : Ursula est là, son cor également… Et vous aurez remarqué que dans le film, Colin… court. Dans le roman, il y a tout un chapitre dans lequel on retrouve une scansion, un rythme formé d’heptasyllabes qui rappelle le jazz et que retranscrit André Hodeir. Belmont, par contre, prend le parti de Chloé, ce qui n’était pas dans le roman. Dans le roman, Chloé se délite peu à peu, alors que dans le film Chloé revit, ce qui est totalement du Belmont !
UN SPECTATEUR – Ce qui m’a un peu frappé, par rapport aux autres films de Belmont, c’est qu’ici on voit très peu de personnages, en dehors des protagonistes, on a un effet de désert urbain qui fabrique une atmosphère onirique, presque un monde parallèle. Cette écume, on la retrouve également dans le peu d’accessoires utilisés, dans le décor qui fonctionne par aplats de couleurs. Comment cela s’est-il passé pour créer ces décors oniriques et presque fantastiques ?
Marielle ISSARTEL – Je peux relayer ce que Charles en dit, et ce que Pace relate dans mon documentaire qui paraitra en bonus de l’édition DVD, je l’espère. Charles ne voulait absolument pas de gadgets du genre « murs qui rétrécissent », mais a voulu rendre par le cinéma l’impression qu’on a quand on lit que les murs rétrécissent et que l’on étouffe et qu’on est oppressé. Il l’a rendu par le son, avec une bande son extrêmement particulière pour l’époque (on s’en rend peut-être moins compte maintenant qu’on a dans les films du son très travaillé), et également par le vide qui gagne progressivement et représente pour certains l’oppression de la perte. Charles l’a fait de manière plus subtile. Un décor c’est facile à faire rétrécir, ça ne sert à rien.
André MICHELIN – Nous avons tourné, d’une part, dans une grande villa qu’on a louée ; on utilise toute la villa. On a également tourné dans les rues ; c’est un film qui est très ouvert sur l’extérieur. Et on mélange les personnages du film avec le monde qui continue à vivre autour. Et c’était voulu, c’est ça L’Écume des jours.
François ROULMANN – Belmont fait le contraire du roman également sur les couleurs. On s’était penchés de façon très précise sur l’évolution des couleurs dans le livre L’Écume des jours. Dans le roman, on passe peu à peu des couleurs claires, voire pastels, aux couleurs sombres… et on finit dans un marais. Dans le film ce n’est pas du tout le cas puisqu’il y a cette renaissance de Chloé, totalement inventée pour le film, avec ce fuchsia superbe. On a une magnifique errance dans Paris, un Paris des années 60 dont on reconnaît pas mal de choses maintenant, mais on n’a pas réussi à localiser, du point de vue du roman, des endroits précis. Évidement que ce n’est pas Paris, évidement que c’est la piscine Molitor, que des choses se passent à Neuilly, mais le roman n’est jamais très précis. Dans le film, on reconnaît des lieux.
UN SPECTATEUR – Quelle est la part d’interprétation des acteurs ?
André MICHELIN – Elle est énorme, parce que Charles avait des idées très arrêtées sur la mise en scène, et il exigeait beaucoup des acteurs, ils répétaient beaucoup, et ça ne se sent pas ! Cela semble très spontané.
Annie BURON – J’ai bien vécu le tournage, parce que les premiers jours, on a commencé par les scènes sans texte ; j’ai donc pu m’habituer un peu à toute l’équipe et voir comment cela se passait car je n’avais jamais tourné, c’était mon premier film. J’avais fait deux courts métrages avec des copains, des films publicitaires. Mais j’ai été mise en confiance très vite par Charles.
Alexandra STEWART – Je n’avais pas un rôle très important, par rapport à Marie-France Pisier que je trouve absolument épatante, et à Annie qui bouge magnifiquement. Moi… j’étais toujours bien habillée, bien coiffée…
François ROULMANN – Dans le roman, Isis et Nicolas sont des personnages beaucoup plus importants qu’ils n’en ont l’air à première vue, ce sont un peu le grand frère et la grande sœur.
Alexandra STEWART – Je trouve que ce que fait Sami Frey est très drôle : Jean-Sol Partre, et la fin au café de Flore…
André MICHELIN – Quand au café il dit « Je meurs engagé », c’est un acteur immense !
Alexandra STEWART –C’est donc grâce à Charles Belmont ; quand les metteurs en scène savent diriger les acteurs, même les bons acteurs, ils sont encore mieux.
André MICHELIN – Il y a des scènes qui sont difficiles, celle de la montée sur la colline par exemple : « Il est un temps pour mourir… ». Il a montré de vrais talents de metteur en scène.
Nicolas TARCHIANI – C’est vrai que Sami Frey est exceptionnel. On a pu le voir également dans RAK3. On peut comprendre pourquoi Charles a choisi de commencer par ce film, même s’il a choisi d’adapter le surréalisme et la fantaisie pour ensuite retourner à quelque chose de plus concret. Vian aborde des thématiques que Charles a reprises par la suite, comme la santé, le travail, l’argent… On peut se demander s’il a commencé par le surréalisme pour retourner très vite aux questions essentielles de la société, ou si c’est l’échec du film qui l’a fait continuer dans ces thématiques-là, d’une manière réaliste.
Marielle ISSARTEL – Il y a eu Mai 68, qui est un moment très important pour nous. Charles était un rebelle, ou du moins quelqu’un qui avait des idées sur la société basées sur beaucoup d’émotion et de sensibilité. En 1968, j’étais pour ma part déjà militante. Lui restait un peu à la lisière parce que tout ce qui était « organisation » ne lui plaisait pas, mais il était tout de même très impliqué. Il a vécu des événements qui lui ont donné des envies pas forcément réalistes, comme sa comédie musicale Crescendo qui a été arrêtée, qu’André Michelin avait financée, le contrat était déjà signé, la musique enregistrée avec l’Art Ensemble de Chicago, les chorégraphies avaient été travaillées, Jacques Higelin (le rôle principal) était engagé, toute l’équipe était sur le lieu de tournage en Yougoslavie et puis pour des raisons qu’André Michelin connaît, le film a dû être arrêté. Ce n’était pas du tout du réalisme. Charles s’intéressait à la politique et il aimait la comédie musicale, il était très lié au milieu de la danse par sa compagne d’avant, il y avait une logique pour qu’il écrive une comédie musicale politique. Et ce n’est pas la seule comédie musicale qu’il a commencée, ni la seule qui s’est arrêtée…
Ensuite est survenue la mort de sa mère. De la mort de sa mère et de son intérêt pour la société avec un angle précis, il a fait RAK, sans se poser la question du réalisme. Après il y a eu Histoires d’A4, film sauvage, tourné spontanément, sous la nécessité. Ensuite ce fut Pour Clémence5 qui n’est pas un film réaliste ; il y a des aspects complètement irréels. Charles ne réfléchissait pas du tout en terme de style ou en terme de regard, d’exégèse sur son travail. Il avait des nécessités intimes, une sensibilité et des réflexions, et ça donnait ce que ça donnait : par exemple un patchwork spatio-temporel ou une séquence d’animation dans Pour Clémence, parce qu’il en avait besoin.
Concernant Crescendo, la comédie musicale dont je viens de parler. C’était en 1969, l’Art Ensemble venait de débarquer de Chicago. J’ai peut-être encore la bande son quelque part, mais comme Charles n’archivait rien…
André MICHELIN : C’est le seul cas où je me suis complètement opposé à Charles. L’Art Ensemble de Chicago, c’est fascinant. Mais quand on a demandé au chorégraphe de faire une chorégraphie sur cette musique, ça a posé quelques problèmes. Le film s’est arrêté parce que Mai 68, un distributeur qui dépose son bilan… c’était impossible d’aller plus loin.
Marielle ISSARTEL : C’est une musique qui a été écrite par l’Art Ensemble de Chicago pendant un an, en relation avec le chorégraphe Lorca Massine, sous la direction de Charles. L’Art Ensemble de Chicago, c’était une formation de quatre musiciens, Lester Bowie, Roscoe Mitchell, Malachi Favors et Joseph Jarman. Mais ce quatuor a écrit la musique pour un ensemble de trente musiciens ! Elle a été enregistrée au studio des Abbesses avec le Domaine musical. Ça a été un an de travail d’interaction, de va-et-vient entre le chorégraphe et l’Art Ensemble de Chicago. La musique était absolument magnifique, la chorégraphie également.
Nicolas TARCHIANI – Quelle est la place de la musique dans le film L’Écume des Jours ?
Christelle GONZALO – Elle est aussi prépondérante qu’elle l’était dans le roman. Dans le roman, Duke Ellington est toujours en fond sonore, tout comme le jazz américain que Vian aimait. Dans le film, c’est André Hodeir, que Vian a bien connu (ils écrivaient dans les mêmes journaux de jazz, et avaient la même approche assez scientifique du jazz), qui a fait une bande son originale pour l’occasion, présente toute la durée du film. Même lorsqu’il y a des silences, on entend tout de même les sons de Hodeir derrière.6
François ROULMANN – Il me semble qu’il y a également des effets sonores de Pierre Henry dans le film. Pierre Henry avait collaboré a des petites pièces de théâtre avec Vian dans les années 1950.
Je voulais poser une question, par rapport à l’adaptation de Vian, qui est aussi très sensuelle. Il y a pas mal de sensualité dans ce film, mais je suis étonné de voir que c’est toujours assez voilé : on voit ces magnifiques dames d’une manière un peu éthérée, j’ai l’impression qu’on sent bien qu’on est avant Mai 68 !
Marielle ISSARTEL – Effectivement, c’est plus de la sensualité que de la sexualité ! Mai 68 n’est pas tellement porté sur la sensualité mais plus sur la sexualité.
François ROULMANN – Les romans de Vian sont plutôt plus forts que le film, de ce point de vue.
Marielle ISSARTEL – J’ai du mal à me rendre compte, parce que j’ai grandi avec les époques… La scène où se parlent Colin et Alise, dans laquelle on sent qu’ils auraient pu avoir une histoire mais qu’ils ne l’auront pas : il n’y a pas de malice là-dedans, mais juste une très belle sensualité, très pure. Le sexe, on en parle autrement, sans aucune trivialité.
Dans l’adaptation qu’il a faite d’un texte de sa fille Salomé en 2006, il n’y a pas de sexe7. Il pensait que c’était extrêmement délicat de montrer le sexe à l’écran, tout comme la violence, et c’est quelque chose qu’il préférait montrer dans des lignes de fuite imaginaires.
André MICHELIN – Il y a une scène qui a été rajoutée dans ce but là, c’est la scène où la voisine leur donne un canard ou une oie que Colin et Nicolas caressent longuement. Cette scène vient comme un cheveu sur la soupe !
Alexandra STEWART – Moi ce que j’aime, c’est le médecin. Parce que tout est sur la beauté, les jeunes filles ravissantes, les romances comme au XVe siècle, et puis tout à coup, on voit le médecin – épatant d’ailleurs8– qui présente sa femme qui est d’une laideur totale. A part la femme de Mangemanche, tout le monde est assez beau dans le film.
Mais ça n’empêche pas de mourir pourtant…
1 Le décorateur du film qui a aussi créé l’affiche.
2 Marc Lapprand, François Roulmann et Christelle Gonzalo ont établi l’édition pour La Pléiade des oeuvres romanesques complètes de Boris Vian.
3 RAK, film écrit et réalisé par Charles Belmont en 1971 avec Lila Kedrova et Sami Frey.
4 Histoires d’A, documentaire co-réalisé par Charles Belmont et Marielle Issartel en 1973.
5 Pour Clémence, scénario de Charles Belmont et Marielle Issartel, réalisé par Charles Belmont en 1977.
6 C’est Ursula Kubler qui a indiqué André Hodeir à Charles Belmont lorsqu’il lui a demandé quel musicien Boris Vian aurait lui-même choisi.
7 Qui de Nous Deux écrit et interprété par Salomé Blechmans, adapté et réalisé par Charles Belmont. 2006
8 Interprété par Claude Pieplu